Début trentaine, Renaud Jean publie son premier livre, un recueil de nouvelles inspirées des gestes et des rêveries qui affleurent notre quotidien. Retraite comprend une dizaine de récits tantôt fantastiques, tantôt réalistes. En entamant une nouvelle, on a tendance à s’identifier au personnage principal, mais on découvre peu à peu que cet être est hanté par un mystérieux sentiment d’angoisse.

Dans le texte intitulé « Trois visites », un homme rend visite à son grand-père dans une résidence pour personnes âgées. On s’attend à des échanges chaleureux ou au moins cordiaux. Ils sont plutôt glaciaux, car le petit-fils a l’art de mettre « du plâtre dans ses rapports ». Il n’y a rien d’authentique en lui, car il s’agite « dans un parfait aveuglement ».

Le style reflète l’état d’âme du personnage. Il est question de « rêves d’inox et de verre », de surfaces étincelantes mais « glacées, nues, intimidantes ». Renaud Jean conclut que ce petit-fils a hérité, à la naissance, d’une « vieille âme ».

La nouvelle « Compagnie » peint une vie noire faite de vexations, de paroles mesquines, de méchancetés, d’actions égoïstes et d’attitudes désobligeantes. Le personnage ne sait pas se défendre « contre ce venin du ressentiment que secrétait ma solitude ». Il ne semble trouver son plaisir qu’en versant dans la haine et l’exécration. En lisant ce texte et plusieurs autres, on ne sait plus ce qui paraît le plus irréel : les rêves ou le quotidien.

L’écriture de Renaud Jean exerce sur le lecteur un étrange pouvoir de fascination. En quelques pages, ce jeune auteur illustre comment attendre la retraite pour ne plus vivre à moitié, mais pleinement et sans compromissions, peut s’avérer une triste illusion. Si vous avez déjà déménagé ou aidé quelqu’un à déménager, vous ne croirez pas vos yeux en lisant la dernière nouvelle de ce recueil. Tout ce qui peut arriver de travers se produit avec une nonchalance inouïe. 

Tel que mentionné plus tôt, le recueil Retraite juxtapose l’onirisme et le réalisme. Ces deux mondes semblent en apparence étrangers, mais leurs échos ne tardent pas à nous renvoyer l’un à l’autre. Lecture déroutante mais souvent envoûtante.