Alexia Grousson
En juin 2020, Le Rempart publiait un article pour annoncer la sauvegarde de l’Église Annonciation de Pointe-aux-Roches, classée comme bâtiment patrimonial selon la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. En décembre 2023, c’est avec tristesse que le journal publie sa démolition qui a débuté le mois dernier et profite de l’occasion pour retracer l’histoire de cette église.
Le père Andrieux fut le premier prêtre et le responsable de la construction de l’église originale appelée « Église Annonciation », aidé par les agriculteurs de la communauté en 1865. Quand la nouvelle église a été construite sur le même terrain par l’abbé St-Cyr en 1905, l’ancienne a été déplacée. Une partie est allée sur une ferme pour être transformée en grange, et une autre est devenue une section d’un hôtel à Pointe-aux-Roches.
L’église a fermé ses portes au public en 2006, selon la volonté du diocèse de London qui voulait regrouper les paroisses de Notre-Dame-de-Lourdes (Comber), de l’Annonciation (Pointe-aux-Roches) et de Saint-Joachim, dans une nouvelle église à Comber.
Cette année-là, le groupe SOS-Églises mené par David Tremblay, résident de Pointe-aux-Roches, s’est adressé à la Cour suprême de l’Ontario pour obtenir la désignation historique, sauvant ainsi l’église de la démolition. Le diocèse de London a ensuite décidé de vendre l’église à un particulier pour 1 $.
Puis en 2018, la propriété a été rachetée pour 42 000 $ par Mirna et Kamal Lachine, avec l’intention d’y faire construire des propriétés résidentielles. Ils ont d’abord essayé de la vendre pour 800 000 $ puis l’an dernier, ils ont affiché un prix de vente de 1 million $.
Ils ont ensuite demandé un permis de démolition en 2020, qui a d’abord été rejeté, et un deuxième en 2022. S’appuyant sur un rapport d’un ingénieur stipulant que l’église n’était plus « structurellement sûre et saine », le conseil municipal de Lakeshore a donné son accord pour la démolition de l’édifice. Les travaux ont commencé en novembre dernier.
Des résidents dévastés
Le 5 janvier 2023, Danielle Trépanier lance une pétition en ligne pour tenter une dernière fois de sauver l’église. On pouvait lire : « Ce bâtiment est désigné site du patrimoine municipal et représente l’un des rares vestiges de l’architecture franco-ontarienne dans le sud-ouest de l’Ontario. Le lieu mérite pleinement d’être considéré à la fois comme un lieu historique « national » et comme un bien patrimonial « provincial ». (…) Ce bâtiment patrimonial remarquable doit être préservé et transmis aux générations futures, afin d’assurer l’identité franco-ontarienne de la région. »
Bien qu’elle ait obtenu plus de 600 signatures, cela ne fut pas suffisant. Des flots de mots et d’émotions s’enchaînent depuis plusieurs semaines et inondent les réseaux sociaux, plus particulièrement le groupe Facebook de Pointe-aux-Roches. Les résidents sont dévastés par la perte de leur église qui, pour un bon nombre d’entre eux, fut le lieu de merveilleux moments tels que baptêmes, communions et mariages. De nombreuses photos refont surface, accentuant ainsi la peine subie face à cette lourde perte.
Un rassemblement a même été organisé sur place, le 25 novembre dernier. « J’ai assisté au rassemblement avec ma petite-fille Hadley. Une centaine de personnes ont récité le chapelet pour la dernière fois. Il faisait un temps glacial, mais nos cœurs étaient chauds. Beaucoup de larmes ont coulé. Personnellement, cela m’a aidée dans mon processus de deuil », a écrit Colleen Hadland-Campbell sur les réseaux sociaux.
Marcie Glajch, une résidente de Pointe-aux-Roches, s’est confiée avec émotion : « Nous possédons le presbytère à côté de la propriété de l’église. Nous avons acheté cette belle maison il y a six ans et nous nous battions depuis pour préserver l’église. C’est déchirant et frustrant. Le propriétaire n’a jamais voulu la conserver ni la restaurer. Nous l’avons combattu, lui et notre conseil local. Malgré nos efforts, il a été autorisé à démolir notre belle église pour cause de « négligence », bien qu’elle soit désignée comme un édifice du patrimoine local.
« Lakeshore avait un comité consultatif pour le patrimoine qui a été récemment dissous. Une étude d’impact sur le patrimoine et une stratégie de commémoration ont été réalisées, répertoriant et déterminant quels objets doivent être récupérés et qui doit en devenir propriétaire.
« Cependant, le conseil municipal a rejeté cette proposition, et l’a simplement ignorée. Les membres se sont appuyés sur un rapport structurel payé par le propriétaire lui-même. C’était le seul rapport d’ingénieur qui a été utilisé pour justifier la démolition et dedans, l’ingénieur n’a même pas écrit le bon nom de l’église. Il a écrit « église Saint-Pierre ». En plus, il indique que « les escaliers en béton sont en très mauvais état ». Si vous regardez les vidéos prises lors de la démolition, vous verrez que l’entreprise de démolition a travaillé plusieurs jours d’affilée uniquement sur les escaliers. C’était très difficile de les détruire. Donc rien dans ce rapport n’est vrai. C’est juste une question d’argent », se désole Mme Glajch.
« Également, une évaluation par la Société de conseil en archéologie et en patrimoine a auparavant été réalisée démontrant toute la valeur historique de l’architecture et des peintures encore au plafond. Pourtant, la majeure partie n’a pas été sauvée. C’était tellement triste à regarder. Tellement violent. C’est comme si on arrachait le cœur de cette communauté. Pendant 118 ans, cette église est restée fière et forte. Elle représentait l’histoire vivante d’une communauté française dynamique, même si elle était désormais vide. Ce qui est vraiment triste, c’est le fait que certaines personnes ne voient pas cette belle histoire comme quelque chose de significatif et maintenant, une église d’importance historique, construite par de pauvres agriculteurs francophones, a disparu », ajoute-t-elle.
L’entreprise de démolition
Le Rempart a rejoint la firme Gagnon Salvage à McGregor, située à côté de l’école élémentaire catholique Ste-Ursule.
« Nous avons d’abord enlevé toutes les matières dangereuses du bâtiment, explique Katherine Gagnon de la firme de démolition. Notre équipe a ensuite procédé à l’enlèvement des vitraux, des corbeaux et des colonnes décoratives en étain ainsi que des autres objets laissés sur place (meubles, portes, etc.).
« Ce processus était très coûteux et demandait beaucoup de travail, mais nous voulions pouvoir donner aux paroissiens de l’église la possibilité de conserver les vitraux inférieurs dont plusieurs noms étaient inscrits dessus. Nous avons dressé une liste de ces noms et nous les avons publiés sur les réseaux sociaux en espérant que les familles en question pourraient les réclamer. Environ 20 vitraux sur les 30 que nous avions récupérés ont été rendus, poursuit-elle.
« La démolition a commencé le 16 novembre, par l’arrière du bâtiment. Mais avant, et pour donner suite à la demande d’un résident, nous avons fait sonner 12 fois la cloche de l’église pour la communauté. Certains objets issus de la démolition, comme la croix en ciment, ont été restitués à la communauté. La croix en bois sera réaménagée dans un endroit spécial. Les briques ont été transportées jusqu’à notre cour pour être nettoyées et seront réutilisées pour de nombreux bâtiments.
« Nous avons aussi réussi à récupérer la cloche. Tous les articles invendus se trouvent chez nous et on peut les voir grâce à des photos affichées sur nos réseaux sociaux », ajoute Mme Gagnon.
De nombreuses interrogations persistent encore pour les résidents de Pointe-aux-Roches.
Sur les réseaux sociaux, certains voudraient que la petite municipalité « ait une plaque commémorative en souvenir de l’église sur un rocher, près du belvédère », a écrit Karla Comartin, résidente du village.
D’autres se questionnent quant au devenir de la cloche. « Elle était accrochée dans l’église d’origine et porte un cachet daté de 1889. Elle avait une sonnerie différente pour les funérailles et les mariages, et même pour alerter la ville en cas d’incendie. Quand la municipalité a annoncé que le bâtiment serait démoli, je ne pouvais pas supporter l’idée qu’elle soit déplacée dans une autre ville. Nous avons voulu l’acheter. Nous avons contacté le directeur administratif, la mairesse Tracey Bailey et d’autres personnes, mais nous n’avons reçu aucune réponse. J’étais dévastée.
« Puis, Mme Bailey m’a informée que la cloche sera installée, jusqu’à nouvel ordre, dans un endroit sécurisé. Ma suggestion était de la placer dans la nouvelle bibliothèque. Je ne sais pas où elle sera déplacée. Je ne sais pas ce que cela signifie. (La municipalité de) Lakeshore est-elle en possession de la cloche ou la stocke-t-elle pour le propriétaire? Ils ont également emporté la pierre angulaire », s’inquiète Mellissa Patrick.
Avec la démolition de l’église Annonciation, c’est un monument important de l’histoire de la francophonie du comté d’Essex qui disparaît.
Photo (Crédit Mellissa Patrick): La démolition de l’église Annonciation par l’entreprise Gagnon Salvage