TORONTO – Au moment où le gouvernement ontarien s’apprête à concrétiser son plan de restructuration du système de vente de bière au détail vieux de 92 ans, des experts suggèrent qu’il devrait s’inspirer des leçons apprises des structures de distribution mises en place dans d’autres provinces.

Le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford a clairement indiqué que son objectif était de donner plus de choix et de simplifier la vente d’alcool aux citoyens de l’Ontario, mais on ne connaît que très peu de détails sur la manière dont il entend s’y prendre.

Les progressistes-conservateurs ont le choix de mettre sur pied un modèle unique ou encore d’adopter le système utilisé au Québec, en Alberta ou en Colombie-Britannique.

« Le manque de détails laisse croire qu’ils ont uniquement en tête ce principe de libéralisation, mais qu’ils n’ont aucune vision du type de système qu’ils veulent », commente Dan Malleck, expert en bière et professeur associé en sciences de la santé appliquées à l’Université Brock.

Le modèle en place en Colombie-Britannique permet la vente par des détaillants privés et d’autres appartenant à la province, mais il ne permet pas la vente dans les supermarchés. Au Québec, la vente de bière est permise dans les supermarchés, les dépanneurs et les grandes surfaces comme Costco, en plus de l’offre en succursales de la Société des alcools du Québec. En Alberta, le système de distribution est entièrement laissé au secteur privé, sans limitation du nombre de points de vente.

Dans la plupart des autres provinces, la vente de bière est restreinte aux succursales détenues par des sociétés publiques. Toutefois, les Terre-Neuviens ont accès à « une p’tite frette » dans les dépanneurs et les Néo-Brunswickois y auront bientôt accès dans les supermarchés à partir d’octobre prochain.

Le lobby du commerce de détail ontarien tente de convaincre la province d’adopter un système semblable à celui du Québec où la distribution est généralisée et où les détaillants peuvent négocier les prix auprès des brasseurs plutôt que d’être contraints à un prix fixé par l’industrie.

« Notre modèle de préférence est essentiellement le modèle québécois », admet le vice-président aux affaires publiques du Conseil du détail du Canada Karl Littler.

Il reconnaît que la formule ne serait pas aussi profitable pour les propriétaires de la chaîne The Beer Store, mais celle-ci continuerait tout de même à prospérer.

« Ils n’ont pas l’air d’avoir de difficulté à vendre au Québec, en Alberta ou dans toute autre province », a-t-il déclaré en entrevue.

La chaîne The Beer Store appartient aux géants étrangers qui contrôlent les grandes marques Labatt, Molson et Sleeman. Ses ventes représentent près de 70 pour cent du volume de bière vendu en Ontario. La chaîne a généré 3,3 milliards de dollars de ventes en 2017-2018, selon un récent rapport du consultant Ken Hughes qui recommande des changements à apporter au système ontarien.

D’après M. Littler, les propriétaires de The Beer Store cherchent à défendre le système actuel qui leur permet de dégager des marges de profit substantiellement plus importantes qu’au Québec parce qu’ils contrôlent à la fois les prix du gros et du détail.

L’Association des dépanneurs de l’Ontario estime que l’augmentation du nombre de points de vente va entraîner une hausse des coûts de distribution, comme cela a été le cas au Québec, où la bière est livrée dans environ 8000 points de vente, alors que l’Ontario doit se contenter du plus faible nombre de points de vente par habitant au Canada.

Cependant, les consommateurs n’en profitent même pas actuellement puisque « les économies supplémentaires vont aux compagnies de bière, pas aux consommateurs », dénonce le directeur général de l’Association Dave Bryans.

Celui-ci souligne également qu’un prix minimum serait nécessaire afin de protéger les brasseurs artisanaux contre des rabais trop agressifs des géants mondiaux. Par contre, M. Bryans dit ne pas s’opposer à la possibilité que la bière soit légèrement plus chère en dépanneur qu’en épicerie ou dans les succursales The Beer Store.

Les bières artisanales représentent moins de 2 pour cent des ventes chez The Beer Store, mais plus de 10 pour cent des ventes de la société d’État LCBO et plus de 15 pour cent en épicerie.

L’avenir du système de vente de bière au détail en Ontario demeure un mystère, car la loi qui vient déchirer une entente de dix ans avec The Beer Store, signée en 2015, n’a toujours pas été proclamée plus d’un mois après avoir reçu la sanction royale.

L’entreprise a déjà fait savoir qu’elle contesterait la nouvelle loi devant les tribunaux.

SOURCE: Ross Marowits, La Presse canadienne