Le Canada accueille de plus en plus de nouveaux arrivants, année après année avec comme résultante qu’il faut aider toutes ces personnes, d’origines et d’horizons variés à intégrer leur société d’accueil. Avec les années et l’expérience, les intervenants dans le domaine se sont rendus compte qu’il fallait évidemment pallier aux besoins les plus fondamentaux : un toit, une école pour les enfants, une source de revenus et plusieurs autres réalités pratico-pratiques. Mais il y a également l’autre versant du processus d’intégration, celui qui réfère aux modes de vie, aux valeurs, aux attentes et aux défis.

Alexandrine Loiseau

Alexandrine Loiseau et sa famille sont arrivées à Windsor en 2007 du New Jersey où ils ont vécu pendant quatre ans. Elle était donc déjà adaptée à la vie nord-américaine et était venue au Canada, en direction d’Ottawa où elle a de la famille pour finalement s’installer à Windsor. « Ma fille est née aux États-Unis. Nous n’avions pas le statut de résidents et, à l’époque, il arrivait qu’ils retournent les parents mais gardent les enfants nés aux États-Unis. Je ne voulais pas cela donc nous sommes venus ici ».

Lehani Jacques Kagayo est originaire de la République démocratique du Congo. Lui et sa famille sont arrivés directement à Windsor il y a quatre ans. Poussés hors de leur région par la guerre, ils font une première halte dans une région plus à l’intérieur avant de devoir se déplacer à nouveau devant l’avance des rebelles. Cette fois, ils quittent le pays pour s’installer au Burundi. « Je n’avais jamais imaginé quitter mon pays avant. J’ai été forcé parce que la guerre a éclaté dans les années 1997. Nous étions un groupe, ma famille et d’autres. On partait en masse ». En arrivant au pays, la famille, outre les parents est constituée de cinq enfants.

Tous les deux sont intervenants dans les écoles secondaires francophones à titre de membres des travailleurs en établissement dans les écoles. Ils ont accepté d’échanger sur leurs propres attentes et défis à leur arrivée, leur découverte de la communauté francophone régionale et les attentes et défis que les plus jeunes rencontrent en arrivant ici.

Lehani Jacques Kagayo

Si pour Mme Loiseau et sa famille, l’arrivée au Canada s’est passée relativement facilement, par contre, pour la famille de Jacques, le changement a été plus drastique mais bienvenu. « Le premier choc à l’arrivée est un sentiment de vide, raconte M. Kagayo. Dans mon pays vous ouvrez la porte et il y a des gens, de la vie, une tante ou une cousine, une mère ou un voisin. Tout est là. Mais, ici, on se retrouve seul. Personne ne frappe à la porte le matin. Personne ne te rend visite. Puis il y a la barrière de la langue. Je parlais français mais l’anglais, je l’avais seulement appris à l’école. On est bloqué. Il faut essayer de percer mais on ne peut pas, on ne connait pas la langue ».  Pour lui, les attentes étaient simples : « La paix. Ne plus entendre le bruit des balles, des bombes, des bottes. Ne plus se demander si un jour, ça va être tranquille. C’était la première attente. Puis, savoir que l’on entendra plus les enfants, sa femme demander s’il va falloir encore une fois quitter, laisser ce que l’on a construit, dormir dans la brousse, nous cacher ».

 

Come tous les deux travaillent maintenant auprès des jeunes fraîchement arrivés, ils sont témoins des défis qui se présentent tant pour ces jeunes que pour leurs familles. Selon Mme Loiseau, « pour les jeunes, c’est d’avoir une meilleure éducation. Pour certains de ceux qui arrivent des camps, leur niveau d’éducation est celui d’une première ou d’une deuxième année. Puis il leur faut s’intégrer dans la communauté pour, plus tard, aller au collège ou à l’université. Les parents y sont souvent pour quelque chose en les poussant dans des directions pour lesquelles ils ne sont pas prêts ou qu’ils ne désirent pas. Par exemple, un jeune qui vient d’arriver rêvait de se lancer en affaires mais ses parents le voyaient plutôt comme médecin. Plusieurs parents ne voient pas les lacunes de leurs enfants, ce qui fait que les jeunes font face à un dilemme entre plaire à leur parent et leurs propres capacités à réaliser le projet parental ». Pour sa part, Jacques qui travaille depuis trois ans en accompagnant des jeunes (aide aux devoirs, etc.) qui fréquentent Place du Partage, rencontre deux types de jeunes. « Il y a ceux qui sont pressés de s’intégrer et qui vont tout faire pour y arriver, et il y a ceux pour qui l’avis de la famille pèse un peu plus ce qui les rend plus prudents au moment d’effectuer certains choix. Ils ont peur et cette peur provient des adultes qui leur font voir qu’ils doivent y aller doucement sinon, il y a un risque que vous deveniez ceci ou cela ». Derrière cette attitude, il y a évidemment la crainte que cela rejaillisse sur la famille.

 

L’intégration communautaire

À Windsor on aime bien souligner le fait qu’il existe une vingtaine de communautés différentes. Dans le cas de la communauté francophone, le lien entre ceux qui viennent d’Afrique, du Moyen Orient ou d’ailleurs est évidemment la langue. « On peut se parler, s’entendre facilement grâce à la langue », expliquent les deux travailleurs en établissement. Par contre, la connexion entre les différentes cultures et la communauté francophone traditionnelle est loin d’être évidente. D’ailleurs, tant Alexandrine que Jacques ont mis un peu de temps avant de « découvrir » la présence de la communauté traditionnelle et historique. Cela a permis à Mme Loiseau d’inscrire ses enfants à l’école française. Pour Jacques, c’est via le Collège Boréal qu’il a découvert la présence de la communauté. « Cela m’a enlevé un poids énorme sur les épaules. J’allais pouvoir avancer dans ma langue ». Les deux sont d’accord qu’il y a des efforts à faire pour que de chaque côté, on fasse des pas vers l’autre. Mme Loiseau ajoute « qu’il faudrait que l’on crée un centre d’accueil  spécifiquement pour les arrivants francophones. Une équipe qui pourrait aller les accueillir à l’aéroport, les aider à s’installer et les aiguiller vers les différents services disponibles pour eux dans la région ». Il faudrait également arriver à faire la promotion des activités des uns et des autres là où ils se retrouvent naturellement comme, par exemple, pour les Haïtiens, à l’église. Et, à travers tout cela, non seulement se parler plus et mieux mais, également s’écouter pour faire croître la communauté.