1920 : l’Europe et l’Amérique viennent de mettre derrière elles le sanglant épisode de la Première Guerre mondiale. Pour la première fois, aux États-Unis, plus de gens vivent dans les villes que dans les campagnes. Le charleston est la musique reine. La lutte pour le droit de vote des femmes fait la première page des journaux. De plus en plus d’automobiles circulent dans les rues. C’est également l’année où les États-Unis adoptent le 18e amendement qui proscrit la fabrication, le transport et la vente d’alcool ouvrant ainsi la porte à une époque désignée sous le nom de prohibition. Une époque qui permettra à des hommes débrouillards et peu scrupuleux, en regard de la loi, de monter des fortunes immenses. Windsor et la région deviennent, en raison de leur proximité avec Détroit, une plaque tournante du trafic d’alcool.
À Windsor, il reste encore un édifice pour rappeler cette époque : Abars., propriété de Crown Enterprises, le bras immobilier de la famille Moroun. Crown Enterprises veut démolir la bâtisse de 112 ans sous prétexte de son état de délabrement avancé. Le 9 mai dernier, le Comité du patrimoine a décidé de demander à la Ville de désigner la place comme élément du patrimoine bâti et historique de la Ville de l’automobile, arguant, entre autres, que la prohibition est l’un des hauts faits de l’histoire de Windsor et sa région. La proposition du Comité sera cheminée au conseil municipal le mois prochain.
L’origine du nom de l’établissement n’est pas vraiment claire. Cependant, la petite histoire veut que son premier propriétaire eût pour nom de famille Hébert. Hébert serait devenu Abars au fil du temps. Chose certaine, l’endroit a été un haut lieu de transbordement de boissons alcoolisées.
La prospérité aidant, car les Américains avaient vraiment soif, des entrepôts plus grands et des manoirs imposants dans le secteur de Petite Côte – qui changera de nom pour LaSalle à la même époque – voient le jour. C’est d’ailleurs à cette époque qu’émerge le trafiquant le plus notoire de l’histoire de Windsor : Harry Low. Ce machiniste décide un jour de se lancer en affaires et ouvre un salon de billard sur la rue Sandwich. Ce salon deviendra bientôt son quartier général pour le trafic d’alcool entre Windsor et Détroit. Il amasse ainsi une immense fortune et construit un des endroits les plus iconiques de la ville : la maison Low-Martin, située à Walkerville. La fin de la prohibition puis la Grande Dépression des années 1930 se solderont par la perte de sa fortune et il finira ses jours dans un relatif anonymat à l’hôpital Hôtel Dieu Grace en 1955.
Le dossier de la démolition de l’édifice Abars est à suivre. Le propriétaire affirme qu’il est trop endommagé pour être réparé et les amants de l’histoire et du patrimoine pensent autrement même s’ils admettent que la valeur architecturale de l’édifice est minime.
Photo: Au faîte de sa gloire, le contrebandier Harry Low a fait construire le manoir acquis plus tard par Paul Martin Sr.